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PREMIÈRE PARTIE.

Madame de Vernon s’approcha de moi, et me rappela doucement à ce que je devais à Mathilde : je me levai pour prononcer le serment irrévocable ; à l’instant même je vis cette même ombre s’avancer, étendre la main ; et mon trouble fut tel, qu’un nuage couvrit mes yeux. Je fis cependant un nouvel effort pour examiner cette colonne, dont j’avais cru voir sortir l’image persécutrice de ma vie ; mais je n’aperçus plus rien ; l’effet des lumières dans cette vaste église, et mon imagination agitée, avaient sans doute créé cette chimère.

Mon silence et mon trouble, cependant, embarrassaient Mathilde ; je me hâtai de dire oui, comme dans l’égarement d’un rêve. Mon âme tout entière était ailleurs. N’importe, le lien est serré ; je suis l’époux de Mathilde ! Quand il serait vrai que Delphine m’aurait aimé quelques instants, elle a senti, je n’en puis douter, qu’après l’éclat de son aventure elle serait, perdue si elle n’épousait pas M. de Serbellane ; mais si je savais au moins qu’elle m’a regretté ! Indigne faiblesse ! Delphine m’a trompé, la nature n’a plus rien de vrai.

Vous saurez une fois, si je puis raconter ces derniers jours sans tomber dans des accès de rage et de douleur, vous saurez une fois tout ce qui s’est passé. Mais ce fantôme blanc, hier, qu’était-il ? Je le vois encore… Ah ! mon ami, quand vous serez guéri, venez ; j’ai plus besoin de vous que dans les débiles jours de mon enfance ; ma raison est sans force, et je n’ai plus d’un homme que la violence des passions.