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DEUXIÈME PARTIE.

être qu’elle ne serait pas retenue par le faux amour-propre qui l’endurcit. Ma chère cousine, je vous en conjure… » Et elle me serrait les mains en me suppliant avec une ardeur que je ne lui avais jamais connue. Je m’engageai de nouveau à parler a madame de Vernon ; je pensais en effet qu’on devait du respect aux cérémonies de la religion qu’on professe ; et d’ailleurs les scrupules même les moins fondés des personnes qui nous aiment méritent des égards ; je demandai toutefois instamment à Mathilde de se conduire dans cette occasion avec beaucoup de douceur, de remplir ce qu’elle croyait son devoir, mais de ne point tourmenter sa mère. Je descendis chez madame de Vernon., j’y trouvai madame de Lebensei. Madame de Mondoville, en la voyant, recula brusquement et ne voulut point entrer. Madame de Lebensei me laissa seule avec madame de Vernon, en promettant de revenir le soir même passer la nuit auprès d’elle avec moi. « Eh bien, me dit madame de Vernon en me tendant la main quand nous fûmes seules, un mot de vous sur ma lettre, j’en ai besoin. — Sophie, lui répondis-je, je demande au ciel de vous rendre la vie, et je suis sûre de ramener votre cœur à tous les sentiments pour lesquels il était fait. — Ah ! la vie, me dit-elle, il ne s’agit plus de cela ; mais si votre amitié me reste, je me croirai moins coupable et je mourrai tranquille. — Ah ! sans doute, repris-je, elle vous est rendue cette amitié si tendre ; à la voix de ce qui nous fut cher, le souvenir du passé doit toujours renaître, rien ne peut l’anéantir ; il se retire au fond de notre cœur, lors même qu’on croit l’avoir oublié : jugez ce que j’éprouve, à présent que vous souffrez, que vous m’aimez, et que je vous vois prête à devenir ce que je vous croyais, ce que la nature avait voulu que vous fussiez ! — Douce personne ! interrompit-elle, vos paroles me font du bien, et je meurs plus tranquillement que je ne l’ai mérité.

— Il me reste, lui dis-je, un pénible devoir à remplir auprès de vous ; mais votre raison est si forte, que je ne crains point de vous présenter des idées qui pourraient effrayer toute autre femme. Votre fille désire avec ardeur que vous remplissiez les devoirs que la religion catholique prescrit aux personnes dangereusement malades ; elle y attache le plus grand prix ; il me semble que vous devez lui accorder cette satisfaction. D’ailleurs vous donnerez un bon exemple en vous conformant, dans ce moment solennel, aux pratiques qui édifient les catholiques ; le commun des hommes croit y voir une preuve de respect pour la morale et la Divinité. » Madame de Vernon réfléchit un moment avant de me répondre ; puis elle me dit : « Ma chère Del-