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DEUXIÈME PARTIE.

mieux que vous. Laissez-moi donc mourir en paix, entourée de mes amis, de ceux avec qui j’ai vécu, et sur le bonheur desquels ma vie n’a que trop exercé d’influence ; s’ils sont revenus à moi, s’ils ont été touchés de mon repentir, leurs prières imploreront la miséricorde divine en ma faveur, et leurs prières seront écoutées ; je n’en veux, point d’autres : cet ange, ajouta-t-elle en montrant Delphine, cet ange que j’ai offensé, intercédera pour moi auprès de l’Être suprême. Retirez-vous maintenant, monsieur : votre ministère est fini quand vous n’avez pas convaincu ; si vous vouliez employer tout autre moyen pour parvenir à votre but, vous ne vous montreriez pas digne de la sainteté de votre mission. »

Dès que madame de Vernon eut fini de parler, le prêtre se mit à genoux, et, baisant la croix qu’il portait sur sa poitrine, il dit avec un ton solennel qui me parut dur et affecté : « Malheur à l’homme qui veut sonder les voies du Christ, et méconnaître son autorité ! malheur à lui s’il meurt dans l’impénitence finale ! » Et faisant signe à Mathilde de le suivre, ils s’éloignèrent tous les deux dans le plus profond silence.

Soit que madame de Mondoville voulût retenir le prêtre pour le ramener auprès de sa mère, lorsqu’elle n’aurait plus la force de s’y opposer ; soit qu’elle crût que le service divin qu’on ferait pour madame de Vernon, pendant qu’elle vivait encore, serait plus efficace, elle s’enferma dans son appartement pour dire des prières avec son confesseur et quelques domestiques attachés aux mêmes opinions qu’elle : ainsi donc elle s’éloigna de sa mère dans ses derniers moments, et ne lui rendit pas les soins qu’elle lui devait. Un bizarre mélange de superstition, d’opiniâtreté, d’amour mal entendu du devoir, se combinait dans son âme avec une véritable affection pour sa mère, mais une affection dont les preuves amères et cruelles faisaient souffrir tous les deux. Quoi qu’il en soit, c’est à cette singulière absence de la chambre de madame de Vernon que Mathilde a dû de n’être pas témoin d’une scène qui l’aurait pour jamais privée du repos et du bonheur.

Lorsque madame de Mondoville et le confesseur furent éloignés, l’effort que madame de Vernon avait fait, l’émotion qu’elle avait éprouvée, lui causèrent un vomissement de sang si terrible, qu’elle perdit tout à fait connaissance dans les bras de madame d’Albémar. Nos soins la rappelèrent encore à la vie ; mais Delphine, profondément effrayée de cet accident, que nous avions cru le dernier, était à genoux devant la chaise longue de madame de Vernon, le visage penché sur ses deux mains