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DELPHINE.

fatigue avaient seules causé l’accident qu’il venait d’éprouver. Madame de Mondoville rentra dans ce moment avec ses prêtres et tout l’appareil de la mort. Delphine comprit alors que madame de Vernon avait cessé de vivre ; et, plaçant doucement sur son lit cette femme à la fois intéressante et coupable, elle se mit à genoux devant elle, baisa sa main avec attendrissement et respect, et, s’éloignant, elle se laissa ramener par moi dans sa maison sans rien dire.

Je l’ai fait mettre au lit, parce qu’elle avait une fièvre très-forte. Nous avons envoyé plusieurs fois savoir des nouvelles de Léonce ; il est revenu de son évanouissement assez malade, mais sans danger. M. Barton, qui, par un heureux hasard, était arrivé hier au soir, est venu pour voir Delphine ce matin ; elle était si agitée, qu’il n’eût pas été prudent de la laisser s’entretenir avec lui. Il m’a dit seulement qu’ayant obtenu de madame d’Albémar de ne pas écrire à Léonce, de peur de l’irriter contre sa belle-mère, il avait cru cependant devoir dire quelques mots pour le calmer, dans une lettre qu’il lui avait adressée ; mais l’obscurité même de cette lettre et le silence de Delphine avaient jeté Léonce dans une si violente incertitude, qu’il était parti d’Espagne à l’instant même, se flattant d’arriver à Paris avant le départ de madame d’Albémar pour le Languedoc.

M. Barton ne m’a point caché qu’il était inquiet des résolutions de Léonce : il reçoit les soins de madame de Mondoville avec douceur ; mais quand il est seul avec M. Barton, il parait invariablement décidé à passer sa vie avec madame d’Albémar : sa passion pour elle est maintenant portée à un tel excès, qu’il semble impossible de la contenir. M. Barton n’espère que dans le courage et la vertu de madame d’Albémar : il croit qu’elle doit se refuser à revoir Léonce et suivre son projet de retourner vers vous. C’est aussi la détermination de Delphine, je n’en puis douter, car je l’ai entendue répéter tout bas, quand elle se croyait seule : Non, je ne dois pas le revoir ! je l’aime trop, il m’aime aussi ; non, je ne le dois pas ; il faut partir.

Cependant, que vont devenir Léonce et Delphine ? avec leurs sentiments, et dans leur situation, comment vivre ni séparés ni réunis ! Mon mari est venu me rejoindre ; il m’a rendu le courage qui m’abandonnait. Il dit qu’il veut essayer d’offrir des consolations à madame d’Albémar ; mais quel bien lui-même, le plus éclairé, le plus spirituel des hommes, quel bien peut-il lui faire ? Votre parfaite amitié, mademoiselle, vous fera-t-elle