Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
299
TROISIÈME PARTIE.

entièrement. J’étais impatient de la quitter ; je ne me trouvais plus bien à Bellerive, dans ces lieux qui faisaient mes délices : malheureux que je suis ! pourquoi fallait il que je visse le spectacle d’une union si heureuse !

Aveugles, ruinés, relégués dans un coin de la terre, ils sont heureux par l’amour dans le mariage ; et moi, qui pouvais goûter ce bien au sein de toutes les prospérités humaines, j’ai livré mon cœur à des regrets dévorants qui n’en sortiront qu’avec la vie.

LETTRE XIX. — DELPHINE À LÉONCE.

Hier vous n’êtes resté qu’un quart d’heure avec moi ; à peine m’avez-vous parlé : en me quittant, j’ai vu que vous alliez dans la forêt, au lieu de retourner à Paris ; j’ai su depuis que vous n’êtes rentré chez vous qu’au jour. Vous avez passé cette nuit glacée seul, à cheval, non loin de ma demeure ; c’était vous pourtant qui aviez voulu abréger nôtre soirée. Inquiète, troublée, je suis restée à ma fenêtre pendant cette même nuit. Léonce, occupés ainsi l’un de l’autre, nous craignions de nous parler : que me cachez-vous ? juste ciel ! ne pouvons-nous plus nous entendre ?

LETTRE XX. — LÉONCE À DELPHINE

J’ai passé une nuit plus douce que tous les jours qui me sont destinés : cette tristesse de l’hiver me plaisait, je n’avais rien à reprocher à la nature. Mais vous, vous qui voyez dans quel état je suis, daignez-vous en avoir pitié ? Ce frisson que les longues heures de la nuit me faisaient éprouver m’était assez doux : n’est-ce pas ainsi que s’annonce la mort, et ne sentez-vous pas qu’il faudra bientôt y recourir ? Vous me demandez si je cache un secret ! l’amour en a-t-il ? Si vous partagiez ce que j’éprouve, ne me comprendriez-vous pas ? Cependant vous me le demandez, ce secret ; le voici : je suis malheureux ; n’exigez rien de plus.

LETTRE XXI. — DELPHINE À LÉONCE.

Vous êtes malheureux, Léonce ! Ah ! le ciel m’inspirait bien quand je voulais partir, quand je refusais de croire à vos serments : vous me juriez qu’en restant je comblerais tous les