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DELPHINE.

LETTRE XXIII. — DELPHINE À LÉONCE.

Léonce, je vous crois généreux, pourquoi donc vous cacherais-je ce qui est dangereux pour moi ? Vous savez, vous devez savoir, que si vous me rendiez coupable, je n’y survivrais pas ; et vous me connaissez assez pour ne pas imaginer que j’imite ces femmes dissimulées qui veulent se laisser vaincre après avoir longtemps résisté. Si vous ne voulez pas que je meure de douleur ou de honte, je dois obtenir, en vous confiant le secret de ma faiblesse, que votre propre vertu m’en défende. Ô Léonce ! si vous souffrez, si vos peines altèrent quelquefois votre santé, ne vous montrez pas à moi dans cet état.

Hier, en vous voyant si pâle, si chancelant, je me sentis défaillir ; quand l’image de votre danger se présente à moi, toute autre idée disparaît à mes yeux. Il se passait hier dans mon cœur une émotion inconnue, qui affaiblissait ma raison, ma vertu, toutes mes forces ; et j’éprouvais un désir inexprimable de ranimer votre vie aux dépens de la mienne, de verser mon sang, pour qu’il réchauffât le vôtre, et que mon dernier souffle rendît quelque chaleur à vos mains tremblantes.

Léonce, en vous avouant l’empire de la souffrance sur mon cœur, c’est vous interdire à jamais de m’en rendre témoin : dérobez-la-moi, s’il est possible ; cette prière n’est pas d’une âme dure, et vous l’adresser, c’est vous estimer beaucoup : Ne répondez pas à cette lettre ; en l’écrivant, mon front s’est couvert de rougeur. Je vous ai imploré, protégez-moi, mais sans me rappeler que je vous l’ai demandé.

LETTRE XIV. — LÉONCE À DELPHINE.

Delphine, je veux respecter vos volontés, je le veux ; cette résignation est tout ce que je puis vous promettre. Vous ne connaissez pas les sentiments qui m’agitent ; je leur impose silence, je ne puis vous les confier. Je vous adore, et je crains de vous parler d’amour ! que deviendrai-je ? Et cependant tu m’aimes, et tu voudrais que je fusse heureux ! j’ai cru que je le serais, je me suis trompé. Essayons de ne pas nous parler de nous, de transporter notre pensée sur je ne sais quel sujet étranger dont nous ne nous occuperons qu’avec effort, oui, avec effort. Puis-je ne pas me contraindre ? puis-je m’aban-