Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
331
TROISIÈME PARTIE.

cher : vous savez comme moi tout ce qui peut m’imposer la loi de m’éloigner de Léonce ; je n’ai pas voulu repousser l’appui que vous pouvez prêter à mon courage ; mais si Léonce m’épargnait ce cruel effort, s’il consentait à recommencer les mois qui viennent de s’écouler ?… Ah ! ne dites pas que je ne dois plus m’en flatter.

P. S. Madame d’Ervins doit arriver dans peu de jours ; elle aussi se réunira sans doute à vous : qu’obtiendrez-vous toutes les deux de mon cœur déchiré ?

LETTRE XL. — M. DE VALORBE À MADAME D’ALBÉMAR.
Paris, ce 15 mai 1 791.

Je suis à Paris, madame, et ne vous y ayant point trouvée, je me propose d’aller à votre campagne. Je ne sais pas si vous êtes bien aise de mon arrivée ; il ne tiendrait qu’à moi de croire, par quelques mots de votre belle-sœur, que vous n’avez pas un grand désir de me revoir ; il me semble cependant que j’ai des droits à votre bienveillance ; peut-être y a-t-il de la modestie à réclamer ces droits. Mais je rends justice aux autres et à moi-même ; il faut encore s’estimer très-heureux quand la reconnaissance n’est point oubliée.

Vous savez avec quelle sincérité, avec quel dévouement je vous suis attaché depuis que je vous connais : je ne m’attends pas à ce que vous fassiez grand cas de tout cela à Paris, et je serai bien à mon désavantage à côté de tous les gens aimables qui vous entourent ; mais à trente ans on a eu le temps d’apprendre que les succès valent peu de chose, et je me consolerais de n’en point avoir, si votre bonté pour moi n’en était point altérée. Je me sens triste et ennuyé ; vous seule pouvez m’arracher à cette disposition ; je ne connais que vous pour qui il vaille la peine de vivre ; tout ce qu’on rencontre d’ailleurs est si inconséquent et si absurde ! Depuis un jour que je suis ici, j’ai déjà parlé à je ne sais combien de gens impolis, distraits, frivoles, et ne s’occupant sérieusement que d’eux-mêmes ; enfin ils sont ainsi, c’est moi qui ai tort d’en être impatienté. Je ne suis venu que pour vous chercher, je ne reste que pour vous ; ne vous effrayez pas cependant, je ne vous verrai pas tous les jours. J’ai un voyage à faire chez une de mes tantes, qui durera près d’un mois, et plusieurs autres affaires me prendront du temps. Vous voyez que je veux vous rassurer. Toutefois, en