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TROISIÈME PARTIE.

vie il n’avait éprouvé pour aucune femme autant de respect que pour madame d’Ervins dans le moment où elle croyait faire un acte d’humilité. Léonce a remarqué que Thérèse avait rougi plusieurs fois en parlant, mais sans jamais hésiter. « Et je voyais réunie en elle, a-t-il ajouté, la plus grande souffrance de la timidité et de la modestie à la plus ferme volonté. » Elle finit en déclarant à madame d’Artenas que, loin de demander le secret sur ce qu’elle venait de lui dire, elle désirait qu’elle le publiât chaque fois que ses relations dans le monde la mettraient à portée de repousser la calomnie dont je pourrais être l’objet.

Elle se recueillit un instant, après avoir achevé ses pénibles aveux, pour chercher s’il ne lui restait point encore quelque devoir à remplir. Personne n’osa rompre le silence ; elle avait trop ému ceux qui l’écoutaient pour qu’ils fussent en état de lui répondre ; et comme sans doute elle craignait toute conversation sur un pareil sujet, elle se leva pour la prévenir, en faisant une inclination de tête à madame d’Artenas et à sa nièce ; elle sortit sans leur avoir laissé le temps d’exprimer l’intérêt et l’attendrissement qu’elles éprouvaient. Vous concevez, ma chère Louise, combien cette scène m’a touchée. Admirable Thérèse ! bien plus admirable que si jamais elle n’avait commis de faute ! que de vertus elle a tirées du remords ! combien elle vaut mieux que moi, qui me traîne sans force sur les dernières limites de la morale, essayant de me persuader que je ne les ai pas franchies !

Cette journée d’émotions n’était pas terminée ; Thérèse n’avait pas encore accompli tout ce que sa religion lui commandait : elle vint rejoindre Léonce et moi ; et comme j’allais vers elle pour lui exprimer ma reconnaissance : « Attendez, me dit-elle, car je crains bien d’être forcée de vous déplaire ; mais demain je quitte le monde, et j’ai presque aujourd’hui le droit des mourants ; écoutez-moi donc encore. » Elle s’assit alors, et, s’adressant à Léonce et à moi, elle nous dit :

« J’ai détruit votre bonheur ; sans moi vous seriez unis, et la vertu contribuerait autant que l’amour à votre félicité. Ce tort affreux, ce tort que je ne pourrai jamais expier, c’est mon crime qui en a été la cause ; un malheur plus funeste encore, la mort de mon mari, a été la suite immédiate de mon coupable amour. Ce n’est donc pas moi, non, ce n’est pas moi qui pourrais me croire le droit de donner de sévères conseils à des âmes aussi pures que les vôtres ; cependant Dieu peut choisir la voix des pécheurs pour faire entendre des avis salutaires aux