Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
DELPHINE.

Thérèse. « Que contient-elle ? me dit-il avec l’accent le plus sombre ; que voulez-vous de moi ? Seriez-vous d’accord avec elle ? — Je vous en conjure ! interrompis-je, obéissez à la prière de Thérèse : ne lisez point encore ce qu’elle vous écrit ! Donnez un moment à la pitié pour elle ! Je suis là, près de vous, mon ami ; ah ! pleurons encore quelques instants sans amertume ! » Léonce, placé derrière moi, posa sa main sur le pilier qui me servait d’appui ; ma tête tomba sur cette main tremblante, et ce mouvement, je crois, suspendit quelque temps son agitation. La musique continua ; l’impression quelle me causait me plongea dans une rêverie extraordinaire, dont je n’ai pu conserver que des souvenirs confus ; bientôt j’entendis les sanglots étouffés de mon malheureux ami, et je m’abandonnai sans contrainte à mes larmes. J’invoquai Dieu pour mourir dans cette situation, elle était pleine de délices ; je n’imposais plus rien à mon âme, elle se livrait à une émotion sans bornes ; il me semblait que j’allais expirer à force de pleurs, et que ma vie s’éteignait dans un excès immodéré d’attendrissement et de pitié. Je ne sais combien de temps dura cette sorte d’extase, mais je n’en fus tirée que par le bruit que firent les rideaux du chœur lorsqu’on les ferma. La cérémonie terminée, les religieuses et les prêtres s’étant retirés, nous n’entendîmes plus, nous ne vîmes plus personne, et nous nous trouvâmes seuls dans l’église, Léonce et moi.

Léonce, sans quitter ma main, s’approcha de la lumière, et lut la prière solennelle, éloquente et terrible, que Thérèse lui adressait pour l’engager à sauver mon âme, en rompant nos liens et en cessant de nous voir. Je ne pus en saisir que quelques paroles qu’il répétait en frémissant. À peine l’eut-il finie, que, levant sur moi des yeux pleins de douleur et de reproches, il me dit : « Est-ce vous qui avez combiné ces émotions funestes ? est-ce vous qui avez résolu de me quitter ? — Consentez, lui dis-je avec effort, consentez à mon absence. Léonce, je t’en conjure, cède à la voix du ciel que Thérèse t’a fait entendre ! Ne sens-tu pas que les forces de mon âme sont épuisées ? Il faut que je m’éloigne ou que je devienne criminelle ! Un plus long combat n’est pas en ma puissance ! saisissons cet instant !… — Il est donc vrai, reprit Léonce, il est donc vrai que vous avez formé le dessein de me quitter ! que tant de jours passés ensemble n’ont point laissé de trace dans votre cœur ! Oui ! c’en est fait ! il n’y aura plus sur cette terre une heure de repos pour moi ! Et quand devait-elle commencer cette séparation ? — À l’heure même ! m’écriai-je ; tout est prêt, l’on m’attend ;