Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
QUATRIÈME PARTIE.

çaient par degrés devant moi ; je n’entendais plus, je perdais mes forces, mes idées se troublaient ; mais les sentiments de mon cœur acquéraient une nouvelle puissance, mon existence intérieure devenait plus vive ; jamais mon attachement pour Léonce n’avait eu plus d’empire sur moi, et jamais il n’avait été plus pur, plus dégagé des liens de la vie ! Ma tête se pencha sur son épaule ; il me répéta plusieurs fois avec crainte : « Mon amie ! mon amie ! souffrez-vous ? » Je ne pouvais pas lui répondre, mon âme était presque à demi séparée de la terre ; enfin les secours qu’on me donna me firent ouvrir les yeux et me reconnaître entre ma sœur et Léonce.

Il me regardait en silence ; sa délicatesse parfaite ne lui permettait pas de m’interroger sur ce qui l’occupait uniquement, dans un jour où ses soins pleins de bonté pouvaient lui donner de nouveaux droits ; mais avais-je besoin qu’il me parlât pour lui répondre ? « Léonce, lui dis-je en serrant ses mains dans les miennes, c’est à ma sœur que je remets le pouvoir de prononcer sur notre destinée : voyez-la demain, parlez-lui : et ce qu’elle décidera, je le regarde d’avance comme l’arrêt du ciel, j’obéirai. — Qu’exigez-vous de moi ? interrompit ma sœur. — Mon père, mon époux, mon protecteur revit en vous, lui dis-je ; jugez de ma situation : vous connaissez maintenant Léonce, je n’ai plus rien à vous dire. » Ma sœur ne répondit point, Léonce se tut, et il me sembla que les plus profondes réflexions s’emparaient de lui. Votre mari et M. de Valorbe nous rejoignirent, et nous revînmes tous à Paris. M. de Valorbe et M. de Lebensei causèrent ensemble pendant la route, sans que nous nous en mêlassions.

Quel usage Louise fera-t-elle des droits que je lui ai remis ? Peut-être prononcera-t-elle qu’il faut nous séparer ! mais j’espère qu’elle me laissera encore un peu de temps, qui sait si je vivrai ? Vous ne savez pas combien, dans de certaines situations, une grande maladie et la faiblesse qui lui succède donnent à l’âme de tranquillité. L’on ne regarde plus la vie comme une chose si certaine, et l’intensité de la douleur diminue avec l’idée confuse que tout peut bientôt finir ; je m’explique ainsi le calme que j’éprouve, dans un moment où va se décider la résolution dont la seule pensée m’était si terrible. Je me refuse à souffrir ; mes facultés ne sont plus les mêmes. Suis-je restée moi ? hélas ! sais-je si je ne sentirai pas toutes les douleurs que je crois émoussées !

Je vous écrirai ce qui sera prononcé sur mon sort ; vous vous intéressez à mon bonheur, vous me l’avez dit, vous me l’avez