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DELPHINE.

M. de Valorbe, car ils causent souvent de politique ensemble. Quoique M. de Valorbe soit dans le fond du cœur ennemi de la révolution, il a en même temps la prétention de passer pour philosophe, et se donne beaucoup de peine pour expliquer à votre mari que c’est comme homme d’État qu’il soutient les préjugés, et comme penseur qu’il les dédaigne. M. de Lebensei ne voit dans cette profondeur que de l’inconséquence, et M. de Valorbe sourit alors comme si votre mari faisait semblant de ne pas l’entendre, et qu’ils fussent deux augures dont l’un voudrait avoir l’air de ne pas comprendre l’autre. Dans toute autre disposition je m’amuserais de ces discussions entre M. de Valorbe, qui voudrait se faire admirer des deux partis, et votre mari, qui ne pense qu’à soutenir ce qu’il croit vrai ; entre M. de Valorbe, qui feint de mépriser les hommes, pour cacher l’importance qu’il met à leurs suffrages, et votre mari, qui, étant indifférent à l’opinion de ce qu’on appelle le monde, n’a point de misanthropie, parce qu’il n’y a jamais de mécompte dans ses prétentions et ses succès. Mais ce qui m’importe, c’est de savoir si M. de Lebensei n’a point découvert dans tout le jeu de l’amour-propre de M. de Valorbe quelque moyen de l’attacher à une idée, à un intérêt qui le détournât de son acharnement à s’occuper de moi.

Je suis extrêmement inquiète des événements que peuvent amener la fierté de Léonce et l’amour-propre de M. de Valorbe ; quand il voit M. de Mondoville, il est contenu par cette dignité de caractère qui rend impossible aux ennemis mêmes de Léonce de lui manquer en présence ; mais il s’indigne en secret, j’en suis sûre, de l’impression involontaire que Léonce lui fait éprouver, et l’effort dont il aurait besoin pour se révolter contre le respect importun qui l’arrête pourrait l’emporter d’autant plus loin. Encore une fois, ma chère Élise, consultez pour moi votre mari dans cette situation délicate, et gardez-vous de laisser apercevoir à Léonce ce que je viens de vous confier sur M. de Valorbe.

LETTRE X. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 7 août, à 11 heures du matin.

Mon Dieu ! combien mes craintes étaient fondées ! J’envoie chez vous, à l’insu de Léonce, pour supplier M. de Lebensei de venir ; je vous écris pendant que mon valet de chambre cherche