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QUATRIÈME PARTIE.

l’heure approche ; quand le temps aura prononcé, vous en serez plus écoutée. » Élise, ne frémissez-vous pas pour votre malheureuse amie ? Ma tête s’égarait ; je suppliai M. de Valorbe, je le crois, avec un accent, avec des paroles de flamme ; il repoussa tout, occupé d’une seule idée qui lui revenait sans cesse. « Que ferez-vous pour moi, s’écriait-il, si je suis déshonoré, si l’on sait l’outrage que j’ai reçu ? — Rien ne sera connu, répétai-je, rien ! — Et si cette espérance est trompée, dites-moi, s’écria-t-il avec fureur, dites-moi, vous qui ne m’offrez pas de l’amour, comment vous ferez pour que je supporte la honte ! — Jamais elle ne vous atteindra, repris-je ; mais si quelque peine pouvait résulter pour vous du sacrifice que vous m’auriez fait, le dévouement de ma vie entière, reconnaissance, amitié, fortune, soins, tout ce que je puis donner est à vous. — Tout ce que vous pouvez donner, créature enchanteresse ! interrompit-il ; c’est toi qu’il faut posséder ; tu pourrais seule faire oublier même le déshonneur ! Tu as peur du sang, tu veux écarter la mort… eh bien ! jure que je serai ton époux ; cette gloire, cette ivresse… »

En disant ces mots, il me saisit la main avec transport. Six heures sonnèrent, une voiture s’arrêta à la porte, il ne restait plus qu’un instant pour éviter le plus grand des malheurs ; tout ce qu’avait dit M. de Valorbe me persuadait que sa résolution n’était pas inébranlable, mais que jamais il n’y renoncerait si je n’offrais pas un prétexte quelconque à son amour-propre. Il reprit avec plus d’instance, en voyant que je me taisais, et me dit : « Permettez-moi de prendre ce silence pour une réponse favorable, elle restera secrète entre nous, je vous laisserai du temps, je n’abuserai point tyranniquement d’un consentement arraché par le trouble… » Le bruit de la voiture de Léonce entrant dans la cour se fit entendre. Je puis à peine me rappeler ce qui se passait en ce moment dans mon âme bouleversée, mais il me semble que je pensai qu’un scrupule insensé pouvait seul m’engager à parler, quand peut-être il suffisait de me taire pour sauver Léonce. La veille même, madame d’Artenas m’avait vivement grondée de ce qu’elle appelait mes insupportables qualités, qui m’exposaient à tous les malheurs, sans me permettre jamais la moindre habileté pour m’en tirer. Ses conseils me revinrent, je condamnai mon caractère, je m’ordonnai d’y manquer ; enfin surtout, enfin les paroles qui exposaient les jours de Léonce ne pouvaient sortir de ma bouche. M. de Valorbe s’écria avec transport qu’il me remerciait de mon silence ; je ne le désavouai point. Je le trom-