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QUATRIÈME PARTIE.

heurs sans espoir à la vieillesse ; il semble qu’il ne s’agisse que de repousser les désirs des jeunes gens, et l’on oublie que les désirs repoussés des jeunes gens deviendront les regrets éternels des vieillards. La jeunesse prend soin d’elle-même, on n’a pas besoin de s’en occuper ; mais toutes les institutions, toutes les réflexions doivent avoir pour but de protéger à l’avance ces dernières années que l’homme le plus dur ne peut considérer sans pitié, ni le plus intrépide sans effroi.

Je ne nie point tous les inconvénients du divorce, ou plutôt de la nature humaine qui l’exige ; c’est aux moralistes, c’est à l’opinion à condamner ceux dont les motifs ne paraissent pas dignes d’excuse : mais au milieu d’une société civilisée qui introduit les mariages par convenance, les mariages dans un âge où l’on n’a nulle idée de l’avenir, lorsque les lois ne peuvent punir ni les parents qui abusent de leur autorité, ni les époux qui se conduisent mal l’un envers l’autre, en interdisant le divorce, la loi n’est sévère que pour les victimes ; elle se charge de river les chaînes, sans pouvoir influer sur les circonstances qui les rendent douces ou cruelles ; elle semble dire : Je ne puis assurer votre bonheur, mais je garantirai du moins la durée de votre infortune. Certes, il faudra que la morale fasse de grands progrès avant que l’on rencontre beaucoup d’époux qui se résignent au malheur, sans y échapper de quelque manière ; et si l’on y échappe, et si la société se montre indulgente en proportion de la sévérité même des institutions, c’est alors que toutes les idées de devoir et de vertu sont confondues, et que l’on vit sous l’esclavage civil comme sous l’esclavage politique, dégagé par l’opinion des entraves imposées par la loi.

Ce sont les circonstances particulières à chacun qui déterminent si le divorce autorisé par la loi peut être approuvé par le tribunal de l’opinion et de notre propre cœur. Un divorce qui aurait pour motif des malheurs survenus à l’un des deux époux serait l’action la plus vile que la pensée pût concevoir ; car les affections du cœur, les liens de famille, ont précisément pour but de donner à l’homme des amis indépendants de ses succès ou de ses revers, et de mettre au moins quelques bornes à la puissance du hasard sur sa destinée. Les Anglais, cette nation morale, religieuse et libre, les Anglais ont dans la liturgie du mariage une expression qui m’a touché : Je l’accepte, disent réciproquement la femme et le mari, in health and in sichness, for better and for worse ; dans la santé comme dans la maladie, dans ses meilleures circonstances comme dans ses plus fu-