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QUATRIÈME PARTIE.

est sauvé ! me dit-il ; il n’est point blessé ; son adversaire l’est seul, mais pas grièvement ; tout est bien, tout est fini. »

Louise, une heure après avoir reçu cette assurance, j’étais encore dans des convulsions de larmes ; mon âme ne pouvait rentrer dans ses bornes. J’appris enfin que Léonce s’était battu avec M. de Montalte, et l’avait blessé ; mais qu’il avait montré dans ce duel tant de bravoure et de générosité, tant d’oubli de lui-même tant de soins pour M. de Montalte, lorsqu’il avait été hors de combat, qu’il avait tout à fait subjugué son adversaire, et qu’il en avait obtenu tout ce qu’il désirait relativement à moi : la promesse d’attribuer leur duel à une querelle de bal masqué, et de chercher naturellement toutes les occasions de me justifier en public sur tout ce qui concernait M. de Valorbe. M. Barton était arrivé à temps pour être témoin du combat, après avoir inutilement cherché pendant plusieurs heures Léonce, qui attendait le jour avec M. de Montalte chez un de leurs amis communs. M. Barton était animé par l’enthousiasme en me parlant de Léonce ; il est vrai que, pendant toute cette nuit, ses paroles et ses actions avaient eu constamment le plus sublime caractère ; et c’était dans ce moment même qu’il fallait se séparer de lui !

J’en sentais la nécessité plus que jamais ; j’avais en horreur ce que je venais d’éprouver : et de tout ce qu’on peut souffrir sur la terre, ce qui me parait le plus terrible, c’est de craindre pour la vie de celui qu’on aime. Je n’étais point à l’abri de cette douleur, elle pouvait se renouveler ; M. de Valorbe m’en menaçait. Cette idée vint s’unir au sentiment du devoir, qu’il ne m’était plus permis de repousser, et je partis sans rien voir, sans rien entendre, dans je ne sais quel égarement dont je ne suis sortie que quand la fatigue d’Isaure m’a forcée d’arrêter ici.

Vous ne pouvez vous faire l’idée de ce que je souffre, de l’effort qu’il m’a fallu faire, même pour vous écrire ! Quand je n’aurais pas besoin de cacher ma retraite à Léonce et à M. de Valorbe, je ne devrais pas aller vers vous ; il faut, dans l’état où je suis, combattre seule avec moi-même ; le froid de la solitude me redonnera des forces. Je vous aime, je ne puis vous voir ; l’attendrissement, l’affection, me feraient trop de mal ; la moindre émotion nouvelle pourrait m’anéantir ; laissez-moi. Je vais en Suisse : Léonce m’a dit que dans ses voyages c’était le pays qu’il avait préféré ; s’il vient une fois verser des larmes sur ma tombe, j’aime à penser que ce sera près des lieux qui captivèrent son imagination dans les premières années de sa