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CINQUIÈME PARTIE.

Louise, pardon de vous fatiguer ainsi de mon imagination égarée ; mes réflexions me ramènent sans cesse vers les mêmes idées ; je voudrais entendre souvent des paroles de mort, je voudrais être environnée de solennités sombres et terribles ; ce que je redoute le plus, c’est que ma douleur ne devienne un état habituel, une existence comme toutes les autres, un mal que je porterai dans mon sein et que les hommes me diront de supporter en silence. Adieu : je croyais avoir repris des forces et je suis retombée ; allons, à demain.

Berne, ce 25 décembre.

P. S. Je n’avais pas fermé cette lettre, lorsqu’un accident cruel a failli rendre mon sort encore plus misérable : j’ai appris, par un de mes gens, que M. de Valorbe venait d’arriver à Lausanne. Heureusement il n’a pas su que j’y étais ; mais il pourrait le découvrir d’un moment à l’autre, et la frayeur que j’en ai ressentie ne m’a pas permis d’y rester plus longtemps. Je suis partie à onze heures du soir, j’ai voyagé toute la nuit, et je ne me suis arrêtée qu’ici. Se peut-il qu’une destinée sans espoir soit encore poursuivie par tant de craintes !

Je vais à Zurich, j’y serai dans deux jours ; écrivez-moi directement chez MM. de C., négociants : je leur suis recommandée sous un nom emprunté. Adieu, ma sœur ; je fuis de malheurs en malheurs, sans jamais trouver de repos.

LETTRE IV. — M. DE VALORBE À M. DE MONTALTE.
Lausanne, ce 25 décembre 1791.

Depuis longtemps je ne t’ai point écrit, Montalte. À quoi bon écrire ? J’ai besoin cependant de parler une fois encore de moi ; j’ai besoin d’en parler à quelqu’un qui m’ait connu, qui se rappelle ce que j’étais avant mon irréparable chute. Tu m’as défendu, je le sais, avec générosité, avec courage ; mais que peux-tu, que pouvons-nous l’un et l’autre contre la honte que j’ai acceptée par le plus indigne amour ? Madame d’Albémar m’a perdu. Ma réconciliation avec M. de Mondoville est une tache que toutes les eaux de l’Océan ne peuvent laver. Je me suis battu trois fois avec des officiers de mon régiment ; tout a été vain. Je fuis, je quitte la France, repoussé de mon corps, ruiné, flétri, sans espoir, sans avenir. Les lois contre