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CINQUIÈME PARTIE.

indifférence, je ne sais quelle corruption, qui vous fait douter, au milieu d’une nation conquise et résignée à l’être, si vous vivez parmi vos semblables, ou si quelques êtres abâtardis ne sont pas venus habiter la terre que la nature avait destinée à l’homme.

Ce n’est pas tout encore : non-seulement l’intervention des étrangers devrait suffire pour vous éloigner du parti qui l’admet ; mais la cause même que ce parti soutient mérite-t-elle réellement votre appui ? C’est un grand malheur, je le sais, que d’exister dans le temps des dissensions politiques ; les actions ni les principes d’aucun parti ne peuvent contenter un homme vertueux et raisonnable. Cependant, toutes les fois qu’une nation s’efforce d’arriver à la liberté, je puis blâmer profondément les moyens qu’elle prend, mais il me serait impossible de ne pas m’intéresser à son but.

La liberté, vous l’avouerez avec moi, est le premier bonheur, la seule gloire de l’ordre social ; l’histoire n’est décorée que par les vertus des peuples libres ; les seuls noms qui retentissent de siècle en siècle à toutes les âmes généreuses, ce sont les noms de ceux qui ont aimé la liberté. Nous avons en nous-mêmes une conscience pour la liberté comme pour la morale ; aucun homme n’ose avouer qu’il veut la servitude, aucun homme n’en peut être accusé sans rougir ; et les cœurs les plus froids, si leur vie n’a point été souillée, tressaillent encore lorsqu’ils voient en Angleterre les touchants exemples du respect des lois pour l’homme, et des hommes pour la loi ; lorsqu’ils entendent le noble langage qu’ont prêté Corneille et Voltaire aux ombres sublimes des Romains.

Cette belle cause, que de tout temps le génie et les vertus ont plaidée, est, j’en conviens, à beaucoup d’égards, mal défendue parmi nous ; mais enfin l’espérance de la liberté ne peut naître que des principes de la Révolution ; et se ranger dans le parti qui veut la renverser, c’est courir le risque de prêter son secours à des événements qui étoufferaient toutes les idées que, depuis quatre siècles, les esprits éclairés ont travaillé à recueillir. Il y a dans le parti que vous voulez servir, des hommes qui, comme vous, ne désirent rien que d’honorable ; mais dans les temps ou les passions politiques sont agitées, chaque faction est poussée jusqu’à l’extrême des opinions qu’elle soutient ; et tel qui commence la guerre dans le seul but de rétablir l’ordre, entend bientôt dire autour de lui qu’il n’y a de repos que dans l’esclavage, de sûreté que dans le despotisme, de morale que dans les préjugés, de religion que dans telle secte, et se trouve