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CINQUIÈME PARTIE.

bensei vous écrit qu’il est certain que Léonce n’a point encore formé de projet pour l’avenir. Hélas ! il croit, me dites-vous que Léonce ne pense à la guerre que par dégoût de la vie ; et peut-être ajoute-t-il, quand M. de Mondoville sera père, il n’éprouvera plus de tels sentiments. Ah ! je le souhaite, je dois désirer même que la nouvelle affection dont il va jouir le console de ma perte.

M. de Valorbe ne cesse de me persécuter : depuis un mois que sa santé lui permet de sortir, il m’écrit, il demande à me voir ; et, si madame de Ternan ne mettait pas un grand intérêt à l’empêcher, je ne sais comment j’aurais pu, jusqu’à ce jour, me dispenser de le recevoir. Madame de Cerlebe, dont l’amitié m’est chère, me désole par ses sollicitations continuelles en faveur de M. de Valorbe ; chaque fois qu’elle vient dans ce couvent elle m’en parle ; elle s’est persuadé, je crois, que madame de Ternan veut m’engager à prendre le voile ; elle en est inquiète, et voudrait que je sortisse d’ici pour épouser M. de Valorbe. Vous aussi, ma sœur, vous avez la bonté de craindre que madame de Ternan ne me détermine à me faire religieuse ; je n’y pense point à présent : je vous avoue que cette idée m’a occupée quelque temps, sans que je voulusse vous le dire ; mais en observant cet état de plus près, je me suis senti de la répugnance à imiter madame de Ternan, en prononçant des vœux sans y être appelée par des sentiments de dévotion. J’ai beau répéter à madame de Cerlebe que telle est ma résolution, elle a une si grande idée de l’ascendant que madame de Ternan peut exercer sur moi, que rien ne la rassure.

Je crois aussi qu’elle a su par M. de Valorbe mon attachement pour Léonce ; la sévérité de ses principes me condamne, et elle veut essayer de m’arracher sans retour au sentiment qu’elle réprouve. Projet insensé ! elle ne l’eût point, formé, si j’avais osé lui parler avec confiance, si quelques mots lui avaient appris à connaître la toute-puissance du lien qu’elle voudrait briser ! D’ailleurs, comme elle est très-heureuse par son père et par ses enfants, quoique son mari lui convienne très-peu, elle se persuade que je n’ai pas besoin d’aimer M. de Valorbe, pour trouver dans le mariage les jouissances qu’elle considère comme les premières de toutes, celles de la maternité ; c’est, je crois, pour m’en présenter le tableau, qu’elle a mis une si grande importance à ce que j’allasse voir demain la première communion de sa fille, dans l’église protestante voisine de sa campagne.

Je craignais d’abord d’y rencontrer M. de Valorbe ; mais