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CINQUIÈME PARTIE.

que je remplis un devoir. M. d’Albémar, s’il vivait encore, m’approuverait de donner à l’homme qui l’a sauvé ce témoignage de reconnaissance. Je ne me consolerais pas de posséder les biens que M. d’Albémar m’a laissés, tandis que M. de Valorbe serait dans la détresse et me refuserait le bonheur de lui être utile ; je ne veux pas m’exposer à cette peine, et j’espère qu’en présence il ne résistera point à mes prières.

J’étais d’ailleurs, je vous l’avoue, cruellement tourmentée de quelques torts que je me reprochais envers M. de Valorbe. Mon silence a pu le tromper une fois ; ce silence a obtenu de lui un sacrifice qui a rendu sa vie très-malheureuse. Depuis ce temps j’ai refusé de le voir, soit par embarras, soit par crainte d’offenser celui dont le souvenir règne encore sur ma vie. Je me reproche ces mouvements que la reconnaissance et la générosité devaient m’interdire ; je saisis donc avec vivacité une circonstance importante qui me permet de tout réparer, et je pars. Adieu, madame ; vous m’avez flattée que vous viendriez demain me voir, ne l’oubliez pas.

LETTRE XXI. — LÉONCE À M. DE LEBENSEI.
Paris, ce 14 mars.

Juste ciel ! me cachiez-vous ce que je viens d’apprendre ! M. de Valorbe est parti en disant qu’il allait rejoindre madame d’Albémar, et l’on assure qu’il est auprès d’elle. Serait-ce là le motif de l’absence de Delphine ? Non, je ne le crois pas ; mais il n’y a qu’elle au monde maintenant qui puisse m’ôter cette horrible idée. Je veux aller à Montpellier parler à sa belle-sœur, savoir, oui, savoir enfin, et personne ne pourra me le refuser, dans quels lieux elle vit, dans quels lieux est M. de Valorbe.

Si elle l’a vu, si elle lui a parlé, malgré les bruits qu’on a répandus sur leur attachement mutuel, après ce que j’en ai souffert, rien ne peut l’excuser ; non, je ne puis rester un jour ici dans une anxiété si douloureuse. Qu’on ne me parle plus de mes devoirs envers Mathilde ; Delphine oserait-elle me les rappeler ? a-t-elle respecté les liens qui l’attachaient à moi ?… Ce que je dis est peut-être injuste ; oui, je le crois, je suis injuste ; mais j’ai beau me le répéter, je ne saurais me calmer ! elle seule, elle seule peut m’ôter la douleur qu’on vient de jeter dans mon sein. Tout ce que vous me diriez ne suffirait pas…