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DELPHINE.

M. de Valorbe qui descendait quelques marches pour venir à elle ; son changement, qui était très-remarquable, écarta d’elle toute autre idée que celle de la pitié, et elle monta vers lui sans hésiter. Il lui prit la main et la conduisit dans sa chambre : la main qu’il lui donna tremblait tellement, m’a-t-elle dit, qu’elle se sentit embarrassée et touchée de l’émotion qu’il éprouvait ; elle se hâta de lui parler de l’objet de son voyage ; il l’écoutait à peine, et paraissait occupé d’un grand débat avec lui-même.

Delphine lui répéta deux fois la prière d’accepter le service qu’elle venait lui offrir ; et comme il ne lui répondait rien, elle crut qu’il lui en coûtait de prononcer positivement son consentement à ce qu’elle demandait, et posant sur son bureau le papier sur lequel elle avait signé la garantie de ses dettes, elle voulut se lever et partir. À ce double mouvement. M. de Valorbe sortit de son silence par une exclamation de fureur ; et, saisissant Delphine par la main, il lui demanda avec amertume si elle le méprisait assez pour croire qu’il recevrait jamais aucun service d’elle.

« Je suis banni de mon pays, s’écria-t-il, ruiné, déshonoré ; des douleurs continuelles mettent mon sang dans la fermentation la plus violente. Je souffre tous ces maux à cause de vous, de l’amour insensé que j’ai pour vous, et vous vous flattez de les réparer avec votre fortune ! et vous imaginez que je vous laisserai le plaisir de vous croire dégagée de la reconnaissance, de la pitié, de tous les sentiments que vous me devez ! Non, il faut qu’il existe du moins un lien, un douloureux lien entre nous, vos remords. Je ne vous laisserai pas vous en délivrer, je troublerai de quelque manière votre heureuse vie. — Heureuse ! s’écria Delphine ; M. de Valorbe, songez dans quel lieu je vis, songez à ce que j’ai quitté, et répétez-moi, si vous le pouvez encore, que je suis heureuse ! » La voix brisée de Delphine attendrit un moment M. de Valorbe, et, se jetant à ses pieds, il lui dit « Eh bien, ange de douceur et de beauté, s’il est vrai que tu souffres, s’il est vrai que les peines de la vie ont aussi pesé sur toi, pourquoi refuserais-tu d’unir ta destinée à la mienne ? Ah ! je voudrais exister encore ; le temps n’est point épuisé pour moi, il me reste des forces ; je pourrais honorer encore mon nom, il y a des moments où j’ai horreur de ma fin ; Delphine, consentez à m’épouser, et vous me sauverez. — N’avez-vous pas lu, répondit madame d’Albémar, ma lettre à madame de Cerlebe ? — Oui, je l’ai lue, s’écria M. de Valorbe en se relevant avec colère ; vous faites bien de me la rappeler, c’est en pu-