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CINQUIÈME PARTIE.

lui qu’elle s’était donné était suisse, et dès la première question elle avoua qu’elle était Française ; mais elle était décidée à ne se pas faire connaître, puisqu’elle avait été trouvée seule enfermée avec M. de Valorbe. Le négociant chez qui elle était descendue d’abord avait déposé qu’elle était venue pour le voir ; quelques plaisanteries grossières de ceux qui l’entouraient ne lui avaient que trop appris quelle idée ils s’étaient formée de ses relations avec M. de Valorbe ; et pour rien au monde elle n’aurait voulu que dans de semblables circonstances son véritable nom fût connu. Elle se complaisait dans l’espoir que son refus constant de le dire irriterait le commandant, confirmerait ses soupçons, et qu’il l’enfermerait peut-être dans quelque forteresse pour le reste de ses jours : la nuit entière se passa sans qu’elle voulût répondre.

Quelle nuit ! Vous représentez-vous Delphine, seule au milieu d’hommes durs et farouches qui, d’heure en heure, revenaient l’interroger et cherchaient à lui faire peur pour en obtenir un aveu qu’ils croyaient être de la plus grande importance ? Le commandant surtout se flattait de trouver dans une découverte essentielle un moyen d’avancement ; et que peut-il exister de plus inflexible qu’un ambitieux qui espère du bien pour lui de la peine d’un autre ! Delphine, vers le milieu de la nuit, avait obtenu qu’on la laissât seule pendant quelques heures ; elle s’endormit, accablée de fatigue et de douleur. Quand elle se réveilla, et qu’elle se vit dans une chambre noire, délabrée, entendant le bruit des armes, le jurement des soldats, elle fut dans une sorte d’égarement qui subsistait encore quand je la revis.

Tout à coup le commandant entre chez elle, et lui demande pardon, avec un ton respectueux, de ne l’avoir pas connue. M. de Valorbe, qui avait pu enfin pénétrer jusqu’à lui, lui avait appris, à travers les plus sanglants reproches, le nom de madame d’Albémar, et de quel couvent elle était pensionnaire. Comme dans cette abbaye il y avait plusieurs femmes de la plus grande naissance d’Allemagne, et que madame de Ternan, en particulier, était très-considérée à Vienne, le commandant eut peur de lui avoir déplu en maltraitant une personne qu’elle protégeait ; et changeant de conduite à l’instant, il donna un officier à madame d’Albémar pour la ramener jusqu’à l’abbaye, et se contenta de faire arrêter M. de Valorbe (qui est encore en prison), parce qu’il l’avait offensé en se plaignant avec hauteur des traitements que madame d’Albémar avait soufferts.

Ce commandant avait fait partir un officier une heure avant