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CINQUIÈME PARTIE.

moi ? Cependant je suis chassée, chassée de la maison de sa tante ; c’est bien plus que quand je sortis de ce concert d’où la haine des méchants me repoussait ; et cependant que n’ai-je pas souffert alors ! n’ai-je pas craint de perdre son affection ! et maintenant qu’on m’a surprise, enfermée avec son rival, qu’un acte authentique l’atteste, que des religieuses me chassent ! Ah ! Dieu, Dieu, je suis innocente ! je le suis, Léonce, Léonce ! » Et elle retomba dans mes bras de nouveau, sans mouvement.

« Laissez-moi seule avec elle, me dit madame de Ternan, j’entrevois un moyen de la sauver. — Si vous le pouvez, lui dis-je, c’est un ange que vous consolerez ; » et je me hâtai de lui dire la vérité ; elle l’entendit, et je crus même voir qu’elle y était préparée. Je ne compris pas alors comment elle n’avait pas pris plus tôt la défense de Delphine ; mais c’est une femme d’une telle personnalité, qu’on n’a l’espérance de la faire changer d’avis sur rien ; car il faudrait lui découvrir dans son intérêt particulier quelques rapports qu’elle n’eût pas saisis, et elle s’en occupe tant que c’est presque impossible.

Je me retirai : deux heures après il me fut permis de revenir ; je trouvai un changement extraordinaire dans Delphine ; elle était plus calme, et non moins triste ; elle n’avait plus cette expression d’abattement qui lui donnait l’air coupable ; sa tête s’était relevée, mais sa douleur semblait plus profonde encore ; l’on aurait dit seulement qu’elle s’y était vouée pour toujours. Elle me pria avec douceur de revenir la voir dans huit jours, et seulement dans huit jours. Je la quittai avec un sentiment de tristesse, plus douloureux que celui même que j’avais éprouvé lorsque son désespoir s’exprimait avec violence. Huit jours après, quand je la vis, elle venait de recevoir une lettre de vous, qui lui annonçait et l’arrivée de Léonce et sa fureur à la seule pensée qu’elle pouvait avoir vu M. de Valorbe. « Lisez cette lettre, me dit Delphine ; vous voyez que s’il apprenait ce qui s’est passé à Zell, il ne me le pardonnerait pas ; je le connais, il vengerait mon offense sur M. de Valorbe ; il exposerait encore une fois sa vie pour moi ; et quand même je pourrais un jour me justifier à ses yeux, ne sais-je pas ce qu’il souffrirait en voyant celle qu’il aime flétrie dans l’opinion ? Son caractère s’est manifesté malgré lui cent fois à cet égard, dans les moments où son amour pour moi le dominait le plus ; et quel éclat, grand Dieu ! que celui qui me menaçait il y a huit jours ! quel homme, quel autre même que Léonce le supporterait sans peine ! Ecoutez-moi, me dit-elle alors, sans m’inter-