Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’indépendance de cette femme unique qui, en nous fuyant, a emporté avec elle toute la joie de ma petite cour, etc., etc. »

C’était donc avec la conscience d’avoir cherché à hâter, autant qu’il était en elle, le mariage qui mettait Fabrice au désespoir, que la duchesse le voyait tous les jours. Aussi passaient-ils quelquefois quatre ou cinq heures à voguer ensemble sur le lac, sans se dire un seul mot. La bienveillance était entière et parfaite du côté de Fabrice ; mais il pensait à d’autres choses, et son âme naïve et simple ne lui fournissait rien à dire. La duchesse le voyait, et c’était son supplice.

Nous avons oublié de raconter en son lieu que la duchesse avait pris une maison à Belgirate, village charmant, et qui tient tout ce que son nom promet (voir un beau tournant du lac). De la porte-fenêtre de son salon, la duchesse pouvait mettre le pied dans sa barque. Elle en avait pris une fort ordinaire, et pour laquelle quatre rameurs eussent suffi ; elle en engagea douze, et s’arrangea de façon à avoir un homme de chacun des villages situés aux environs de Belgirate. La troisième ou quatrième fois qu’elle se trouva au milieu du lac avec tous ces hommes bien choisis, elle fit arrêter le mouvement des rames.