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certainement il n’aura pas songé à se mettre en embuscade pour continuer son métier d’espion.

— C’est dans ton appartement qu’il faut cacher notre hussard, dit la marquise ; il ne peut partir tout de suite ; dans ce premier moment, nous ne sommes pas assez maîtresses de notre raison, et il s’agit de choisir la meilleure façon de mettre en défaut cette terrible police de Milan.

On suivit cette idée ; mais le marquis et son fils aîné remarquèrent, le jour d’après, que la marquise était sans cesse dans la chambre de sa belle-sœur. Nous ne nous arrêterons pas à peindre les transports de tendresse et de joie qui ce jour-là encore agitèrent ces êtres si heureux. Les cœurs italiens sont, beaucoup plus que les nôtres, tourmentés par les soupçons et par les idées folles que leur présente une imagination brûlante, mais en revanche leurs joies sont bien plus intenses et durent plus longtemps. Ce jour-là, la comtesse et la marquise étaient absolument privées de leur raison ; Fabrice fut obligé de recommencer tous ses récits : enfin on résolut d’aller cacher la joie commune à Milan, tant il sembla difficile de se dérober plus longtemps à la police du marquis et de son fils Ascagne.

On prit la barque ordinaire de la maison pour aller à Côme ; en agir autrement eût été réveiller mille soupçons ; mais en arrivant au port de Côme la marquise se souvint qu’elle avait oublié à