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regardait comme la plus malheureuse des femmes. La duchesse Sanseverina lui fit la cour, et entreprit de lui prouver qu’elle n’était point si malheureuse. Il faut savoir que le prince ne voyait sa femme qu’à dîner : ce repas durait trente minutes et le prince passait des semaines entières sans adresser la parole à Clara-Paolina. Madame Sanseverina essaya de changer tout cela ; elle amusait le prince, et d’autant plus qu’elle avait su conserver toute son indépendance. Quand elle l’eût voulu, elle n’eût pas pu ne jamais blesser aucun des sots qui pullulaient à cette cour. C’était cette parfaite inhabileté de sa part qui la faisait exécrer du vulgaire des courtisans, tous comtes ou marquis, jouissant en général de cinq mille livres de rente. Elle comprit ce malheur dès les premiers jours, et s’attacha exclusivement à plaire au souverain et à sa femme, laquelle dominait absolument le prince héréditaire. La duchesse savait amuser le souverain et profitait de l’extrême attention qu’il accordait à ses moindres paroles pour donner de bons ridicules aux courtisans qui la haïssaient. Depuis les sottises que Rassi lui avait fait faire, et les sottises de sang ne se réparent pas, le prince avait peur quelquefois, et s’ennuyait souvent, ce qui l’avait conduit à la triste envie ; il sentait qu’il ne s’amusait guère, et devenait sombre quand il croyait voir que d’autres s’amusaient ; l’aspect du bonheur le rendait furieux. Il