Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/269

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La solitude rendra ce mot décisif, et d’ailleurs, une fois la duchesse loin de moi, que devenir ? et si, après beaucoup de difficultés surmontées du côté du prince, je vais montrer ma figure vieille et soucieuse à Belgirate, quel rôle jouerai-je au milieu de ces gens fous de bonheur ?

Ici même, que suis-je autre chose que le terzo incomodo (cette belle langue italienne est toute faite pour l’amour) ! Terzo incomodo (un tiers présent qui incommode) ! quelle douleur pour un homme d’esprit de sentir qu’on joue ce rôle exécrable, et de ne pouvoir prendre sur soi de se lever et de s’en aller !

Le comte allait éclater ou du moins trahir sa douleur par la décomposition de ses traits. Comme en faisant des tours dans le salon il se trouvait près de la porte, il prit la fuite en criant d’un air bon et intime : Adieu, vous autres ! Il faut éviter le sang, se dit-il.

Le lendemain de cette horrible soirée, après une nuit passée tantôt à se détailler les avantages de Fabrice, tantôt dans les affreux transports de la plus cruelle jalousie, le comte eut l’idée de faire appeler un jeune valet de chambre à lui ; cet homme faisait la cour à une jeune fille nommée Chékina, l’une des femmes de chambre de la duchesse et sa favorite. Par bonheur ce jeune domestique était fort rangé dans sa conduite, avare même, et il désirait une place de concierge dans un des établissements