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à se tenir dans les bornes de la prudence, avait mis des espions à la suite du jeune homme, et son équipée du théâtre lui plaisait. Comment peindre la joie du comte lorsque le lendemain du jour où il avait pu prendre sur lui d’être aimable avec Fabrice, il apprit que celui-ci, à la vérité à demi déguisé par une longue redingote bleue, avait monté jusqu’au misérable appartement que la Marietta Valserra occupait au quatrième étage d’une vieille maison derrière le théâtre ? Sa joie redoubla lorsqu’il sut que Fabrice s’était présenté sous un faux nom, et avait eu l’honneur d’exciter la jalousie d’un mauvais garnement nommé Giletti, lequel à la ville jouait les troisièmes rôles de valet, et dans les villages dansait sur la corde. Ce noble amant de la Marietta se répandait en injures contre Fabrice et disait qu’il voulait le tuer.

Les troupes d’opéra sont formées par un impresario qui engage de côté et d’autre les sujets qu’il peut payer ou qu’il trouve libres, et la troupe amassée au hasard reste ensemble une saison ou deux tout au plus. Il n’en est pas de même des compagnies comiques ; tout en courant de ville en ville et changeant de résidence tous les deux ou trois mois, elles n’en forment pas moins comme une famille dont tous les membres s’aiment ou se haïssent. Il y a dans ces compagnies des ménages établis que les beaux des villes où la troupe va jouer trouvent quelquefois beaucoup de diffi-