Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/302

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avais ; mais je n’ai point d’ennemi… Halte-là ! se dit-il tout à coup, j’ai pour ennemi Giletti… Voilà qui est singulier, se dit-il : le plaisir que j’éprouverais à voir cet homme si laid aller à tous les diables, survit au goût fort léger que j’avais pour la petite Marietta… Elle ne vaut pas à beaucoup près la duchesse d’A…, que j’étais obligé d’aimer à Naples, puisque je lui avais dit que j’étais amoureux d’elle. Grand Dieu ! que de fois je me suis ennuyé durant les longs rendez-vous que m’accordait cette belle duchesse ; jamais rien de pareil dans la chambre délabrée et servant de cuisine où la petite Marietta m’a reçu deux fois, et pendant deux minutes chaque fois.

Eh, grand Dieu ! Qu’est-ce que ces gens-là mangent ? C’est à faire pitié ! J’aurais dû faire à elle et à la mamacia une pension de trois beefsteaks payables tous les jours… La petite Marietta, ajouta-t-il, me distrayait des pensées méchantes que me donnait le voisinage de cette cour.

J’aurais peut-être bien fait de prendre la vie de café, comme dit la duchesse ; elle semblait pencher de ce côté-là, et elle a bien plus de génie que moi. Grâce à ses bienfaits, ou bien seulement avec cette pension de quatre mille francs et ce fonds de quarante mille placés à Lyon et que ma mère me destine, j’aurais toujours un cheval et quelques écus pour faire des fouilles et former un cabinet. Puisqu’il semble que je ne dois pas con-