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néraux. En revanche, il ne se passe pas de mois qu’ils ne m’adressent quelque lettre anonyme abominable ; j’ai été obligée de prendre un secrétaire pour lire les lettres de ce genre.

— Et ces lettres anonymes sont leurs moindres péchés, reprit le comte Mosca ; ils tiennent manufacture de dénonciations infâmes. Vingt fois j’aurais pu faire traduire toute cette clique devant les tribunaux, et votre excellence peut penser, ajouta-t-il en s’adressant à Fabrice, si mes bons juges les eussent condamnés.

— Eh bien ! voilà qui me gâte tout le reste, répliqua Fabrice avec une naïveté bien plaisante à la cour ; j’aurais mieux aimé les voir condamnés par des magistrats jugeant en conscience.

— Vous me ferez plaisir, vous qui voyagez pour vous instruire, de me donner l’adresse de tels magistrats ; je leur écrirai avant de me mettre au lit.

— Si j’étais ministre, cette absence de juges honnêtes gens blesserait mon amour-propre.

— Mais il me semble, répliqua le comte, que votre excellence, qui aime tant les Français, et qui même jadis leur prêta le secours de son bras invincible, oublie en ce moment une de leurs grandes maximes : Il vaut mieux tuer le diable que si le diable vous tue. Je voudrais voir comment vous gouverneriez ces âmes ardentes, et qui lisent toute la journée l’histoire de la Révolution