Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/350

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À peine entré dans Casal-Maggiore, Fabrice prit à droite une mauvaise rue qui descend vers le Pô. J’ai grand besoin, se dit-il, des secours de Bacchus et de Cérès, et il entra dans une boutique au dehors de laquelle pendait un torchon gris attaché à un bâton ; sur le torchon était écrit le mot Trattoria. Un mauvais drap de lit soutenu par deux cerceaux de bois fort minces, et pendant jusqu’à trois pieds de terre, mettait la porte de la Trattoria à l’abri des rayons directs du soleil. Là, une femme à demi nue et fort jolie reçut notre héros avec respect, ce qui lui fit le plus vif plaisir ; il se hâta de lui dire qu’il mourait de faim. Pendant que la femme préparait le déjeuner, entra un homme d’une trentaine d’années, il n’avait pas salué en entrant ; tout à coup il se releva du banc où il s’était jeté d’un air familier, et dit à Fabrice : Eccellenza, la riverisco (je salue votre excellence). Fabrice était très gai en ce moment, et au lieu de former des projets sinistres, il répondit en riant :

— Et d’où diable connais-tu mon excellence ?

— Comment ! votre excellence ne reconnaît pas Ludovic, l’un des cochers de madame la duchesse Sanseverina ? À Sacca, la maison de campagne où nous allions tous les ans, je prenais toujours la fièvre ; j’ai demandé la pension à madame et me suis retiré. Me voici riche ; au lieu de la pension de douze écus par an à laquelle tout au plus je