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la pensée

paroles élégantes, au lieu d’idées, faisait des mines ; Mathilde, qui avait de l’humeur, fut cruelle pour lui, et s’en fit un ennemi. Elle dansa jusqu’au jour, et enfin se retira horriblement fatiguée. Mais, en voiture, le peu de force qui lui restait était encore employé à la rendre triste et malheureuse. Elle avait été méprisée par Julien, et ne pouvait le mépriser.

Julien était au comble du bonheur. Ravi à son insu par la musique, les fleurs, les belles femmes, l’élégance générale, et, plus que tout, par son imagination, qui rêvait des distinctions pour lui et la liberté pour tous :

— Quel beau bal ! dit-il au comte, rien n’y manque.

— Il y manque la pensée, répondit Altamira.

Et sa physionomie trahissait ce mépris, qui n’en est que plus piquant, parce qu’on voit que la politesse s’impose le devoir de le cacher.

— Vous y êtes, monsieur le comte. N’est-ce pas, la pensée est conspirante encore ?

— Je suis ici à cause de mon nom. Mais on hait la pensée dans vos salons. Il faut qu’elle ne s’élève pas au-dessus de la pointe d’un couplet de vaudeville : alors on la récompense. Mais l’homme qui