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le rouge et le noir

neveu de province. Le soir, une petite femme de chambre de mademoiselle de La Mole, qui faisait la cour à Julien, comme jadis Élisa, lui donna cette idée, que le deuil de sa maîtresse n’était point pris pour attirer les regards. Cette bizarrerie tenait au fond de son caractère. Elle aimait réellement ce La Mole, amant aimé de la reine la plus spirituelle de son siècle, et qui mourut pour avoir voulu rendre la liberté à ses amis. Et quels amis ! le premier prince du sang et Henri IV.

Accoutumé au naturel parfait qui brillait dans toute la conduite de madame de Rênal, Julien ne voyait qu’affectation dans toutes les femmes de Paris ; et, pour peu qu’il fût disposé à la tristesse, ne trouvait rien à leur dire. Mademoiselle de La Mole fit exception.

Il commençait à ne plus prendre pour de la sécheresse de cœur le genre de beauté qui tient à la noblesse du maintien. Il eut de longues conversations avec mademoiselle de La Mole, qui, quelquefois après dîner, se promenait avec lui dans le jardin, le long des fenêtres ouvertes du salon. Elle lui dit un jour qu’elle lisait l’histoire de d’Aubigné, et Brantôme. Singulière lecture, pensa Julien ; et la marquise ne lui permet pas de lire les romans de Walter Scott !