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la pauvreté

intérêts. Ma vie n’est qu’une suite d’hypocrisies, parce que je n’ai pas mille francs de rente pour acheter du pain.

— À quoi rêvez-vous là, monsieur ? lui dit Mathilde, qui revenait en courant.

Julien était las de se mépriser. Par orgueil, il dit franchement sa pensée. Il rougit beaucoup en parlant de sa pauvreté à une personne aussi riche. Il chercha à bien exprimer par son ton fier qu’il ne demandait rien. Jamais il n’avait semblé aussi joli à Mathilde ; elle lui trouva une expression de sensibilité et de franchise qui souvent lui manquait.

À moins d’un mois de là, Julien se promenait pensif dans le jardin de l’hôtel de La Mole ; mais sa figure n’avait plus la dureté et la roguerie philosophique qu’y imprimait le sentiment continu de son infériorité. Il venait de reconduire jusqu’à la porte du salon mademoiselle de La Mole, qui prétendait s’être fait mal au pied en courant avec son frère.

Elle s’est appuyée sur mon bras d’une façon bien singulière ! se disait Julien. Suis-je un fat, ou serait-il vrai qu’elle a du goût pour moi ? Elle m’écoute d’un air si doux, même quand je lui avoue toutes les souffrances de mon orgueil ! Elle qui a tant de fierté avec tout le monde ! On serait bien étonné au salon si on lui voyait cette