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l’empire d’une jeune fille

Être dans une véritable bataille, une bataille de Napoléon, où l’on tuait dix mille soldats, cela prouve du courage. S’exposer au danger élève l’âme et la sauve de l’ennui où mes pauvres adorateurs semblent plongés ; et il est contagieux, cet ennui. Lequel d’entre eux a l’idée de faire quelque chose d’extraordinaire ? Ils cherchent à obtenir ma main, la belle affaire ! Je suis riche, et mon père avancera son gendre. Ah ! pût-il en trouver un qui fût un peu amusant !

La manière de voir vive, nette, pittoresque de Mathilde, gâtait son langage comme on voit. Souvent un mot d’elle faisait tache aux yeux de ses amis si polis. Ils se seraient presque avoué, si elle eût été moins à la mode, que son parler avait quelque chose d’un peu coloré pour la délicatesse féminine.

Elle, de son côté, était bien injuste envers les jolis cavaliers qui peuplent le bois de Boulogne. Elle voyait l’avenir non pas avec terreur, c’eût été un sentiment vif, mais avec un dégoût bien rare à son âge.

Que pouvait-elle désirer ? la fortune, la haute naissance, l’esprit, la beauté à ce qu’on disait, et à ce qu’elle croyait, tout avait été accumulé sur elle par les mains du hasard.