Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
le rouge et le noir

tenu par Croisenois et par Norbert, attaqua vivement la bonne opinion que Mathilde avait de Julien, et cela sans à-propos, et presque au premier moment où il vit mademoiselle de La Mole. Elle comprit cette finesse d’une lieue, et en fut charmée.

Les voilà tous ligués, se dit-elle, contre un homme de génie qui n’a pas dix louis de rente, et qui ne peut leur répondre qu’autant qu’il est interrogé. Ils en ont peur sous son habit noir. Que serait-ce avec des épaulettes ?

Jamais elle n’avait été plus brillante. Dès les premières attaques, elle couvrit de sarcasmes plaisants Caylus et ses alliés. Quand le feu des plaisanteries de ces brillants officiers fut éteint :

— Que demain quelque hobereau des montagnes de la Franche-Comté, dit-elle à M. de Caylus, s’aperçoive que Julien est son fils naturel, et lui donne un nom et quelques milliers de francs, dans six semaines il a des moustaches comme vous, messieurs ; dans six mois il est officier de housards comme vous, messieurs. Et alors la grandeur de son caractère n’est plus un ridicule. Je vous vois réduit, monsieur le duc futur, à cette ancienne mauvaise raison : la supériorité de la noblesse de cour sur la noblesse de province. Mais