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l’amour de tête

Mathilde était tombée dans toutes les angoisses de la timidité la plus extrême. Elle avait horreur de sa position.

— Qu’avez-vous fait de mes lettres ? dit-elle enfin.

Quelle bonne occasion de déconcerter ces messieurs s’ils sont aux écoutes, et d’éviter la bataille ! pensa Julien.

— La première est cachée dans une grosse Bible protestante que la diligence d’hier soir emporte bien loin d’ici.

Il parlait fort distinctement en entrant dans ces détails, et de façon à être entendu des personnes qui pouvaient être cachées dans deux grandes armoires d’acajou qu’il n’avait pas osé visiter.

— Les deux autres sont à la poste, et suivent la même route que la première.

— Eh, grand Dieu ! pourquoi toutes ces précautions ? dit Mathilde étonnée.

À propos de quoi est-ce que je mentirais ? pensa Julien, et il lui avoua tous ses soupçons.

— Voilà donc la cause de la froideur de tes lettres ! s’écria Mathilde avec l’accent de la folie plus que de la tendresse.

Julien ne remarqua pas cette nuance. Ce tutoiement lui fit perdre la tête, ou du moins ses soupçons s’évanouirent ; il osa serrer dans ses bras cette fille si belle,