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un profil

il était bien aimable. Julien m’aimait encore après des conversations éternelles, dans lesquelles je ne lui avais parlé, et avec bien de la cruauté, j’en conviens, que des velléités d’amour que l’ennui de la vie que je mène m’avait inspirées pour ces jeunes gens de la société desquels il est si jaloux. Ah ! s’il savait combien ils sont peu dangereux pour moi ! combien auprès de lui ils me semblent étiolés et tous copies les uns des autres.

En faisant ces réflexions, Mathilde traçait au hasard des traits de crayon sur une feuille de son album. Un des profils qu’elle venait d’achever l’étonna, la ravit : il ressemblait à Julien d’une manière frappante. C’est la voix du ciel ! voilà un des miracles de l’amour, s’écria-t-elle avec transport : sans m’en douter je fais son portrait.

Elle s’enfuit dans sa chambre, s’y enferma, s’appliqua beaucoup, chercha sérieusement à faire le portrait de Julien, mais elle ne put réussir ; le profil tracé au hasard se trouva toujours le plus ressemblant ; Mathilde en fut enchantée, elle y vit une preuve évidente de grande passion.

Elle ne quitta son album que fort tard, quand la marquise la fit appeler pour aller à l’Opéra italien. Elle n’eut qu’une idée, chercher Julien des yeux pour le faire