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il faut oser

Ma mort augmentera le mépris qu’elle a pour moi ! s’écria-t-il. Quel souvenir je laisserai !

Tombé dans ce dernier abîme du malheur, un être humain n’a de ressources que le courage. Julien n’eut pas assez de génie pour se dire : Il faut oser ; mais comme il regardait la fenêtre de la chambre de Mathilde, il vit à travers les persiennes qu’elle éteignait sa lumière : il se figurait cette chambre charmante qu’il avait vue, hélas ! une fois en sa vie. Son imagination n’allait pas plus loin.

Une heure sonna, entendre le son de la cloche et se dire : Je vais monter avec l’échelle, ne fut qu’un instant.

Ce fut l’éclair du génie, les bonnes raisons arrivèrent en foule. Puis-je être plus malheureux ! se disait-il. Il courut à l’échelle, le jardinier l’avait enchaînée. À l’aide du chien d’un de ses petits pistolets, qu’il brisa, Julien, animé dans ce moment d’une force surhumaine, tordit un des chaînons de la chaîne qui retenait l’échelle ; il en fut maître en peu de minutes, et la plaça contre la fenêtre de Mathilde.

Elle va se fâcher, m’accabler de mépris, qu’importe ? Je lui donne un baiser, un dernier baiser, je monte chez moi et je me tue… ; mes lèvres toucheront sa joue avant que de mourir !