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le vase bleu

lendemain, au déjeuner, il fut gauche et timide devant elle. C’était un défaut qu’on n’avait pu lui reprocher jusque-là. Dans les petites comme dans les grandes choses, il savait nettement ce qu’il devait et voulait faire, et l’exécutait.

Ce jour-là, après le déjeuner, comme madame de La Mole lui demandait une brochure séditieuse et pourtant assez rare, que le matin son curé lui avait apportée en secret, Julien en la prenant sur une console fit tomber un vieux vase de porcelaine bleu, laid au possible.

Madame de La Mole se leva en jetant un cri de détresse et vint considérer de près les ruines de son vase chéri. C’était du vieux japon, disait-elle, il me venait de ma grand’tante abbesse de Chelles ; c’était un présent des Hollandais au duc d’Orléans régent qui l’avait donné à sa fille…

Mathilde avait suivi le mouvement de sa mère, ravie de voir brisé ce vase bleu qui lui semblait horriblement laid. Julien était silencieux et point trop troublé ; il vit mademoiselle de La Mole tout près de lui.

— Ce vase, lui dit-il, est à jamais détruit, ainsi en est-il d’un sentiment qui fut autrefois le maître de mon cœur ; je vous prie d’agréer mes excuses de toutes les folies qu’il m’a fait faire ; et il sortit.