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la comédie

Quelques heures après, le grand soleil le surprit appuyé sur sa table. Un des moments les plus pénibles de sa vie était celui où chaque matin, en s’éveillant, il apprenait son malheur. Ce jour-là, il acheva la copie de sa lettre presque en riant. Est-il possible, se disait-il, qu’il se soit trouvé un jeune homme pour écrire ainsi ! Il compta plusieurs phrases de neuf lignes. Au bas de l’original, il aperçut une note au crayon.

On porte ces lettres soi-même : à cheval, cravate noire, redingote bleue. On remet la lettre au portier d’un air contrit ; profonde mélancolie dans le regard. Si l’on aperçoit quelque femme de chambre, essuyer ses yeux furtivement. Adresser la parole à la femme de chambre.

Tout cela fut exécuté fidèlement.

Ce que je fais est bien hardi, pensa Julien en sortant de l’hôtel de Fervaques, mais tant pis pour Korasoff. Oser écrire à une vertu si célèbre ! Je vais en être traité avec le dernier mépris, et rien ne m’amusera davantage. C’est au fond la seule comédie à laquelle je puisse être sensible. Oui, couvrir de ridicule cet être si odieux, que j’appelle moi, m’amusera. Si je m’en croyais, je commettrais quelque crime pour me distraire.

Depuis un mois, le plus beau moment de