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le délire du bonheur

vous avoir perdue dans l’opinion ne sera pour moi qu’un malheur de plus. Ce n’est pas votre position avec le monde qui fait obstacle, c’est par malheur votre caractère. Pouvez-vous vous répondre à vous-même que vous m’aimerez huit jours ?

(Ah ! qu’elle m’aime huit jours, huit jours seulement, se disait tout bas Julien, et j’en mourrai de bonheur. Que m’importe l’avenir, que m’importe la vie ? et ce bonheur divin peut commencer en cet instant si je veux, il ne dépend que de moi !)

Mathilde le vit pensif.

— Je suis donc tout à fait indigne de vous, dit-elle en lui prenant la main.

Julien l’embrassa, mais à l’instant la main de fer du devoir saisit son cœur. Si elle voit combien je l’adore, je la perds. Et, avant de quitter ses bras, il avait repris toute la dignité qui convient à un homme.

Ce jour-là et les suivants, il sut cacher l’excès de sa félicité ; il y eut des moments où il se refusait jusqu’au plaisir de la serrer dans ses bras.

Dans d’autres instants, le délire du bonheur l’emportait sur tous les conseils de la prudence.

C’était auprès d’un berceau de chèvrefeuilles disposé pour cacher l’échelle, dans le jardin, qu’il avait coutume d’aller