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un duel

chée successivement de son cœur par ce grand mot : Je mourrai. La mort, en elle-même, n’était pas horrible à ses yeux. Toute sa vie n’avait été qu’une longue préparation au malheur, et il n’avait eu garde d’oublier celui qui passe pour le plus grand de tous.

Quoi donc ! se disait-il, si dans soixante jours je devais me battre en duel avec un homme très-fort sur les armes, est-ce que j’aurais la faiblesse d’y penser sans cesse, et la terreur dans l’âme ?

Il passa plus d’une heure à chercher à se bien connaître sous ce rapport.

Quand il eut vu clair dans son âme, et que la vérité parut devant ses yeux aussi nettement qu’un des piliers de sa prison, il pensa au remords !

Pourquoi en aurais-je ? J’ai été offensé d’une manière atroce ; j’ai tué, je mérite la mort, mais voilà tout. Je meurs après avoir soldé mon compte envers l’humanité. Je ne laisse aucune obligation non remplie, je ne dois rien à personne ; ma mort n’a rien de honteux que l’instrument : cela seul, il est vrai, suffit richement pour ma honte aux yeux des bourgeois de Verrières ; mais sous le rapport intellectuel quoi de plus méprisable ! Il me reste un moyen d’être considérable à leurs yeux : c’est de jeter au peuple des pièces d’or en allant