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le rouge et le noir

C’est que j’ai connu un plus grand malheur, continua Julien en philosophant avec lui-même. Je souffrais bien autrement durant mon premier voyage à Strasbourg, quand je me croyais abandonné par Mathilde… Et pouvoir dire que j’ai désiré avec tant de passion cette intimité parfaite qui aujourd’hui me laisse si froid !… Dans le fait, je suis plus heureux seul que quand cette fille si belle partage ma solitude…

L’avocat, homme de règle et de formalités, le croyait fou et pensait avec le public que c’était la jalousie qui lui avait mis le pistolet à la main. Un jour, il hasarda de faire entendre à Julien que cette allégation, vraie ou fausse, serait un excellent moyen de plaidoirie. Mais l’accusé redevint en un clin d’œil un être passionné et incisif.

— Sur votre vie, monsieur, s’écria Julien hors de lui, souvenez-vous de ne plus proférer cet abominable mensonge. Le prudent avocat eut peur un instant d’être assassiné.

Il préparait sa plaidoirie, parce que l’instant décisif approchait rapidement. Besançon et tout le département ne parlaient que de cette cause célèbre. Julien ignorait ce détail, il avait prié qu’on ne lui parlât jamais de ces sortes de choses.