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minuit

l’avocat et à l’accusé. Ce fut alors seulement que Julien fut frappé d’une circonstance : aucune femme n’avait quitté l’audience pour aller dîner.

— Ma foi, je meurs de faim, dit l’avocat, et vous ?

— Moi de même, répondit Julien.

— Voyez, voilà madame la préfète qui reçoit aussi son dîner, lui dit l’avocat en lui indiquant le petit balcon. Bon courage, tout va bien. La séance recommença.

Comme le président faisait son résumé, minuit sonna. Le président fut obligé de s’interrompre ; au milieu du silence de l’anxiété universelle, le retentissement de la cloche de l’horloge remplissait la salle.

Voilà le dernier de mes jours qui commence, pensa Julien. Bientôt il se sentit enflammé par l’idée du devoir. Il avait dominé jusque-là son attendrissement, et gardé sa résolution de ne point parler ; mais quand le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter, il se leva. Il voyait devant lui les yeux de madame Derville qui, aux lumières, lui semblèrent bien brillants. Pleurerait-elle, par hasard ? pensa-t-il.

« Messieurs les jurés,

« L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort,