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un chasseur

Vivre isolé !… Quel tourment !…

Je deviens fou et injuste, se dit Julien en se frappant le front. Je suis isolé ici dans ce cachot ; mais je n’ai pas vécu isolé sur la terre ; j’avais la puissante idée du devoir. Le devoir que je m’étais prescrit, à tort ou à raison… a été comme le tronc d’un arbre solide auquel je m’appuyais pendant l’orage ; je vacillais, j’étais agité. Après tout je n’étais qu’un homme… mais je n’étais pas emporté.

C’est l’air humide de ce cachot qui me fait penser à l’isolement…

Et pourquoi être encore hypocrite en maudissant l’hypocrisie ? Ce n’est ni la mort, ni le cachot, ni l’air humide, c’est l’absence de madame de Rênal qui m’accable. Si, à Verrières, pour la voir, j’étais obligé de vivre des semaines entières, caché dans les caves de sa maison, est-ce que je me plaindrais ?

L’influence de mes contemporains l’emporte, dit-il tout haut et avec un rire amer. Parlant seul avec moi-même, à deux pas de la mort, je suis encore hypocrite… Ô dix-neuvième siècle !

… Un chasseur tire un coup de fusil dans une forêt, sa proie tombe, il s’élance pour la saisir. Sa chaussure heurte une fourmilière haute de deux pieds, détruit l’habitation des fourmis, sème au loin les