Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/294

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pant l’éloquence du ministre, trouva le moment de dire les paroles sacramentelles :

— J’ai l’honneur de présenter mon fils à Votre Excellence.

— J’en veux faire un ami, il sera mon premier aide de camp. Nous aurons bien de la besogne : il faut que je me fourre dans la tête le caractère de mes quatre-vingt-six préfets, stimuler les flegmatiques, retenir le zèle imprudent qui donne la colère pour auxiliaire aux intérêts du parti contraire, éclairer les esprits plus courts. Ce pauvre N… (le prédécesseur) a tout laissé dans un désordre complet. Les commis qu’il a fourrés ici, au lieu de me répondre par des faits et des notions exactes, me font des phrases.

« Vous me voyez ici devant le bureau de ce pauvre Corbière. Qui m’eût dit, quand je combattais à la Chambre des Pairs sa petite voix de chat qu’on écorche, que je m’assoirais dans son fauteuil un jour ? C’était une tête étroite, sa vue était courte mais il ne manquait pas de sens dans les choses qu’il apercevait. Il avait de la sagacité, mais c’était bien l’antipode de l’éloquence, outre que sa mine de chat fâché donnait au plus indifférent l’envie de le contredire. M. de Villèle eût mieux fait de s’adjoindre un homme éloquent, Martignac par exemple.