Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/321

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que je crains. Si tu as l’air comblé, reconnaissant, d’un commis à cent louis, ces sentiments louables, joints à ton air si jeune, te classent à jamais parmi les dupes que l’on peut accabler de travail, compromettre, humilier à merci et miséricorde, comme jadis on taillait le tiers-état, et qui n’en sont que plus reconnaissants.

— Je ne verrai dans l’épanchement de ce sot-là que de l’enfantillage mêlé de fausseté.

— Auras-tu l’esprit de suivre ce programme ?

Pendant les jours qui suivirent cette leçon paternelle, le ministre parlait à Lucien d’un air abstrait, comme un homme accablé de hautes affaires. Lucien répondait le moins possible et faisait la cour à madame la comtesse de Vaize.

Un matin, le ministre arriva dans le bureau de Leuwen suivi d’un garçon de bureau qui portait un énorme portefeuille. Le garçon de bureau sorti, le ministre poussa lui-même le verrou de la porte et, s’asseyant familièrement auprès de Lucien :

— Ce pauvre N…, mon prédécesseur, était sans doute un fort honnête garçon, lui dit-il. Mais le public a d’étranges idées sur son compte. On prétend qu’il faisait des affaires. Voici, par exemple, le porte-