Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Qu’as-tu fait pour te tirer de pair aux yeux de madame Grandet ? lui dit son père.

— J’ai imité les talents qui la font si séduisante : j’ai fait une aquarelle.

— Et quel sujet a choisi ta galanterie ? dit madame Leuwen.

— Un moine espagnol monté sur un âne et que Rodil envoie pendre[1].

— Quelle horreur ! Quel caractère vous vous donnez dans cette maison ! s’écria madame Leuwen. Et encore, ce caractère n’est pas le vôtre. Vous en avez tous les inconvénients sans les avantages. Mon fils, un bourreau !

— Votre fils, un héros : voilà ce que madame Grandet voit dans les supplices décernés sans ménagement à qui ne pense pas comme elle. Une jeune femme qui aurait de la délicatesse, de l’esprit, qui verrait les choses comme elles sont, enfin qui aurait le bonheur de vous ressembler un peu, me prendrait pour un vilain être, par exemple pour un séide des ministres qui veut devenir préfet et chercher en France des « rue Transnonain ». Mais madame Grandet vise au génie, à la grande passion, à l’esprit brillant. Pour une pauvre petite femme qui n’a que du bonheur, et encore

  1. Vers 1834.