Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/403

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Lucien devint pourpre[1].

— Mais dans la position que je t’ai faite, ton fichu air sérieux, et même triste, si admiré en province, où il est l’exagération de la mode, n’est propre qu’à te donner le ridicule abominable de n’être au fond qu’un fichu saint-simonien.

— Mais je ne suis point saint-simonien ! Je crois vous l’avoir prouvé.

— Eh ! sois-le, saint-simonien, sois encore mille fois plus sot, mais ne le parais pas !

— Mon père, je serai plus parlant, plus gai, je passerai deux heures à l’Opéra au lieu d’une.

— Est-ce qu’on change de caractère ? Est-ce que tu seras jamais folâtre et léger ? Or, toute ta vie, si je n’y mets ordre d’ici à quinze jours, ton sérieux passera non pour l’enseigne du bon sens, pour une mauvaise conséquence d’une bonne chose, mais pour tout ce qu’il y a de plus antipathique à la bonne compagnie. Or, quand ici l’on s’est mis à dos la bonne compagnie, il faut accoutumer son amour-propre à recevoir dix coups d’épingle par jour, auquel cas la ressource la plus douce qui reste, c’est de se brûler la cervelle ou, si l’on n’en a pas le courage, d’aller se

  1. Objection : légère fausseté. Toute la jeunesse est comme cela.