Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/418

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à travailler pour dix et, qui plus est, on put parler devant lui en toute sûreté. Ce secours permit à Leuwen de s’absenter quelquefois un quart d’heure du bureau[1].

Huit jours après, le comte de Vaize reçut cinq ou six dénonciations anonymes contre M. Coffe ; mais dès sa sortie de Sainte-Pélagie, Lucien l’avait mis, à son insu, sous la surveillance de M. Crapart, le chef de la police du ministère. Il fut prouvé que M. Coffe n’avait aucune relation avec les journaux libéraux ; quant à ses rapports prétendus avec le comité gouvernemental de Henri V, le ministre en rit avec Coffe lui-même.

  1. [Caractère de Coffe. — C’était un petit homme nerveux, maigre, alerte, actif, presque tout à fait chauve. Il n’avait que vingt-cinq ans et en paraissait trente-six. Homme parfaitement pauvre et également honnête, le mécontentement était peint sur cette figure, qui ne s’éclaircissait que lorsqu’il agissait avec vigueur. Coffe était renommé à l’École pour son silence presque parfait ; mais ses petits yeux gris toujours en mouvement parlaient malgré lui. Dans son mépris pour le siècle actuel, Coffe pensait qu’aucune affaire ne valait la peine qu’on s’en mêlât. L’injustice et l’absurdité lui donnaient de l’honneur malgré lui, et ensuite il avait de l’humeur d’en avoir et de prendre intérêt pour cette masse absurde et coquine qui forme l’immense majorité des hommes. La fortune à peu près unique de Coffe était son grade à l’École polytechnique ; une fois chassé, il fit argent de tout, et forma un petit capital de 3.000 francs, avec lequel il entreprit un petit commerce. Ruiné par une banqueroute, il fut mis à Sainte-Pélagie où il eût passé cinq ans pour retrouver la misère à sa rentrée dans le monde, si l’on ne fût venu à son secours. Il avait le projet, si jamais il pouvait réunir 400 francs de rente, d’aller vivre dans une solitude, en Provence.]