Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/96

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réduise à un silence complet ? À vous seule, madame, je dis ce que je pense sur tout, même sur la politique, où nous sommes si ennemis ; et pour vous seule, pour me rapprocher de vous, j’ai perfectionné cette habitude de mentir que j’adoptai le jour où, pour me défaire de la réputation de républicain, j’allai aux Pénitents guidé par l’honnête docteur Du Poirier ! Voulez-vous que dès demain je dise ce que je pense et que je rompe en visière à tout le monde ? Je n’irai plus à la chapelle des Pénitents, chez madame de Marcilly je ne regarderai plus le portrait de Henri V, comme chez madame de Commercy je n’écouterai plus les homélies de M. l’abbé Rey ; et en moins de huit jours je ne pourrai plus vous voir.

— Non, je ne veux pas cela, répondit-elle avec tristesse ; et cependant, j’ai été profondément affligée depuis hier soir. Quand je vous ai engagé à aller parler un peu à mademoiselle Théodelinde et à madame de Puylaurens, je vous ai entendu dire à M. de Serpierre le contraire de ce que vous me dites.

— M. de Serpierre m’a intercepté au passage. Maudissez la province, où l’on ne peut vivre sans être hypocrite sur tout, ou maudissez l’éducation que j’ai reçue et qui m’a ouvert les yeux sur les trois